Xavier Marcoux
( 1911-1992)
poète patoisant

Poèmes en ligne

avec traduction
en français

(format pdf)

Lo Mouma
(La maman)

Kan ouèrïn tcheton
(Quand j'étais petit)

Mon fiolë
(Mon sifflet)

Mu éssio
(Mes sabots)

Le bo
(Le bouc)

Le chavo Bicho
(Le cheval Bicho)

Lé donde
(Les vaches dressées)

Confesso d'ïn chin borgé
(Confession d'un chien berger)

Tche ogné
(Petit agneau)

Ino coyounè
(Une portée de cochons)

Koué koué ?
(Quoi, quoi ?)

Lu bru
(Les seaux)

L'écoussou
(Le fléau)

L'essiouté
(Le sabotier)

Mon vialajou
(Mon village)

Prïntin
(Printemps)

Moriajou do porpouyë
(Mariage du papillon)

L'orô
(Le vent)

Migaudo
(Fraise)

Le Lignouon
(Le Lignon)

Le Loui é lo Mélènie
(Louis et Mélanie)

Omandine
(Amandine)

Pô lo rotô dô Retchôlon
(Sur la route de Reculons)

Le Boutchïn é l'étialô
(Le Chevreau et l'étoile)

In revou
(Un rêve)

In bo
(Un bouc)

Inô chiorô jouénô
(Une jeune chèvre)

Le Jan é lô Jèno
(Le Jean et la Jeanne)

O lo borô
(A la bourre)

Môrchan de poné
(Marchand de paniers)

Le coq é le miroyë
(Le coq et le milan)

Dépotinto, dépotintè
(Détraqué, chamboulé)

Lô chiorô é le lô
(La chèvre et le loup)

Brayi de coucu
(Primevère)

Pô d'émou
(Pas de jugeote)

Doulou
(Douleurs)

Le tin ko fôrô
(Le temps qu'il fera)

Intô lé donc ?
(Où est-il donc ?)

Viöle
(Sentier)

Formô de Monbrezon
(Fourme de Montbrison)

Sopô de chaö
(Soupe de choux)

Jinto linguo
(Jolie langue)

Notrô lingö
(Notre langue)








 




























 

 

 

 

 

Voir aussi
pages spéciales

Patois de Saint-Jean
le travail de félibre du Père Jean Chassagneux


St-Bonnet-le-Courreau
capitale du patois forézien

 

 



Dessin de l'artiste chazellois Albert Néel

 

 

Reour à Foréziens

 

 

 
 

 

Château de Chalmazel

Le dernier poète patoisant du Forez

(patois de Chalmazel)

A la découverte d'un poète, Xavier Marcoux

par Danièle Latta

1 - Un poète patoisant


Des poèmes en patois


Le groupe "Patois vivant" est né en février 1976, au Centre social de Montbrison. Des Foréziens attachés à leur "vraie langue" ont l'idée de se réunir une fois par mois afin de parler, de rire, de chanter, de raconter des histoires selon la tradition des veillées d'autrefois. Et l'on parle le patois bien sûr. Grand succès de cette entreprise qui attire et rassemble des gens très divers.

Moins d'un an après, en janvier 1977, le premier bulletin du groupe "Patois vivant" voit le jour, réunissant des textes donnés par les participants ou enregistrés au cours des soirées. On y trouve un poème de Xavier Marcoux : Les Dondes. Son patois, c'est celui de Chalmazel, du hameau de Nermond où il est né le 18 mars 1911. Le supplément au n° 2 du bulletin (septembre 1978) contient exclusivement 26 poèmes de Xavier Marcoux, certains "chantés", tous datés de 1977 ou 1978. Sur son exemplaire il a ajouté, en mention manuscrite, la dédicace suivante : A mes parents Eugène Marcoux, Marie Viot, qui m'ont appris le patois.

Cet hommage dit déjà l'essentiel mais un passage nous renseigne sur le déclic qui est à l'origine de l'écriture de ces poèmes. Il y a quelques années, le Père Gardette m'écrivait : "ce qui manque le plus à notre dialecte franco-provençal, c'est de la poésie." Amoureux de ma langue maternelle, je me suis dit le Père Gardette fait un appel… Tout le monde est poète, paraît-il, il faut essayer !

Ou é pré l'écoussou è pïn, pan, pô, sué tôboulô su tô pôyè et avec les encouragements de mes amis du groupe Patois vivant, voilà ce qui en est sorti.

Pour ses amis, Xavier Marcoux était bien, parmi eux, le poète. Aujourd'hui, nous publions dans ce numéro 26 poèmes de 1977 et 1978 et 17 autres écrits entre 1978 et 1984. Xavier Marcoux les avait copiés dans un grand cahier de comptes à couverture marron qu'il gardait près de lui dans son magasin de la rue Tupinerie. Les poèmes sont écrits tantôt en hauteur, tantôt en largeur, accompagnés souvent de la traduction en français, à l'encre rouge, pour la distinguer du patois. Quelques notes précisent le sens d'un mot, donnent une indication supplémentaire sur un personnage, montrent le soin apporté par l'auteur à la transcription de ses textes. Avait-il d'autres brouillons ? C'est difficile à dire. La poésie, cela vient souvent en marchant, cela se modèle dans l'esprit, cela passe par la voix, jusqu'à la forme juste. On trouve des corrections inscrites sur de petites gommettes ou sur des étiquettes collées par-dessus le texte à corriger. Quelques ratures, des ajouts, quelques textes barrés. Tout ce travail, patient et appliqué, émouvant à étudier, montre que Xavier Marcoux envisageait une publication.

Une autre publication des poèmes

Joseph Barou a eu l'initiative de la présente édition de ces poèmes. Elle est bilingue cette fois-ci, par souci de permettre à tous les lecteurs de goûter ces textes. Trop de patoisants ont disparu emportant avec eux la connaissance de cette langue dont je ne possède moi-même que quelques rudiments, mais la traduction me renvoie aux mots du franco-provençal. Ces mots sont mis dans une certaine cadence, souvent avec des rimes et les images qu'ils créent me parlent peu à peu, me parlent d'un pays que j'ai appris à aimer, celui des monts du Soir, celui des hautes chaumes des monts du Forez.

Tout un univers apparaît avec les villages, les rivières, les chemins, les arbres, le ciel de l'aube et les constellations de la nuit. Tout un monde presque disparu resurgit, celui des animaux traditionnels de la ferme - les vaches dressées, le cheval, les cochons, le bouc - celui des petits bergers des jasseries qui fabriquent des sifflets et font claquer leurs sabots sur les chemins. Tout le quotidien des gens de la montagne nous est restitué avec malice ou émotion à travers le langage des objets, les odeurs, les bruits. Et ce n'est pas vain regret d'un passé idyllique, ou sentimentalisme mièvre, mais authentique mémoire.

Xavier Marcoux, avec passion, avec jubilation, communique les impressions profondes de son enfance, ce qui l'a fondé, comme l'on dit maintenant, et il le fait en usant de cette langue, notrô lingô, ce sont ses mots, E lé si jintô / Notrô lingô / Oué în trésore.

2 - Une vie

Xavier Marcoux est né le 18 mars 1911 au hameau de Nermond dans la commune de Chalmazel. Sa maison natale venait des Viot, du côté de sa mère, et son père, né à Champcolomb, était "venu gendre" à Nermond. Xavier est le dernier de sept enfants ; il apprend le français à l'école car, chez lui, on ne parle que le patois. Tout jeune, il est petit berger dans les jasseries avec la "Maine".

On le destine à la prêtrise et il fait ses études d'abord au collège des Salles (comme le Père Canard) ; quatre années de collège pendant lesquelles il ne revient à la maison qu'aux vacances. Puis il entre au Petit Séminaire de Montbrison et fait ensuite une année de Grand Séminaire à Lyon. Mais il arrête ses études et ne se sent pas la vocation de la prêtrise.

Il a 20 ans en 1931 et il exerce différents métiers à Lyon, à Grenoble, à Clermont-Ferrand. Il travaille ensuite comme comptable chez Berliet à Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise. Il se marie en 1940 avec Marie-Antoinette Boudin, infirmière - visiteuse, née à Firminy le 10 avril 1914 dans une famille de commerçants artisans. C'est une amie de sa sœur Angèle qui a épousé un de ses collègues de travail, Henri Roux.

Te me fi conutre mô fenô, Tu me fis connaître ma femme
ô te fiu conutre ton hômou, je te fis connaître ton mari


La femme de Xavier Marcoux exerce quelque temps son métier puis tient un magasin de vêtements rue Garibaldi à Lyon. Deux filles naissent, Maryvonne en 1941 et Marie-Claude en 1942.

Au vu des difficultés de la vie quotidienne, Xavier Marcoux et sa famille quittent Lyon en 1943 et s'installent à Montbrison où vivent les parents de Marie-Antoinette. Le jeune couple tient alors deux commerces de vêtements : "Le Printemps" et "Les deux Passages" et habite d'abord à l'angle du quai de la Porcherie et de la rue Notre-Dame, puis rue de la République, à côté de l'usine à gaz. Une troisième fille, Christiane, naît en 1946, puis un garçon, Jean-Luc , en 1949. Deux autres filles viennent ensuite, Marie-Dominique, née en 1952 et Mireille en 1957.

Peu après cette dernière naissance, Xavier Marcoux a la douleur de perdre sa femme. Il travaille encore longtemps, élevant ses six enfants et tenant sa boutique à l'angle de la rue Tupinerie et de la rue Notre-Dame. C'est là que je me rappelle l'avoir vu dans les années 70. C'était une figure montbrisonnaise.

La famille garde des contacts avec Chalmazel où elle se rend assez souvent pour des visites à des cousins ou des promenades dans la montagne. Xavier Marcoux continue ainsi de parler le patois. Il reste aussi très lié avec sa sœur, Angèle Marcoux - Roux, qui est veuve et vit seule avec sa fille Geneviève . Il a le goût de la famille et voit naître avec bonheur ses petits-enfants. C'est au fil du temps que dans son grand registre de poèmes on les voit grandir. Il doit d'ailleurs les initier à la poésie. Tel poème en acrostiche le prouve (poème en français), sans doute écrit en commun. Il a d'autre part soigneusement gardé des poèmes de ses petits-enfants.

En 1991, on célèbre ses 80 ans et toute la famille se met à rimailler :
C'est aujourd'hui l'occasion / De sortir notre érudition./ En dignes descendants de Xavier / Nous nous sommes mis à rimailler / Pour souhaiter Bon anniversaire / Au plus gentil des pères et grands-pères.


Il recopie des poèmes, d'une écriture que la maladie rend un peu tremblante. Mais c'est un exercice qu'il s'impose car le courage ne lui manque pas. Il peaufine aussi la traduction de ses poèmes car il sait que la langue de son enfance se perd et que les plus jeunes de la famille ne la connaîtront pas.
Xavier Marcoux meurt le 22 avril 1992, à 81 ans.

On peut penser que la poésie l'a accompagné tout au long de sa vie et qu'il a su la faire goûter aux autres. Dans les papiers qu'il a laissés, au dos d'une carte de visite d'un fournisseur parisien, on peut lire ce poème de Charles d'Orléans que tous nous avons appris à l'école :

Le temps a laissé son manteau / De vent de froidure et de pluie…

Ce rondeau, du début du XVe siècle, garde un charme tout neuf par la simplicité de ses thèmes et par son rythme léger. Nul doute qu'il ait plu à notre ami Xavier Marcoux, et, qu'à la fin de sa vie, il ait eu, un jour, le désir de le recopier, de mémoire peut-être, sur un petit rectangle de bristol, montrant par là son appartenance à la grande famille des poètes.

3 - L'œuvre poétique

Le choix du patois

Dans un article du Progrès de novembre 1978, Monique Damon-Bonnefond cite des paroles de Xavier Marcoux évoquant son enfance :

Jusqu'à l'âge de 6 ans, je n'avais jamais entendu parler français. Mes parents, agriculteurs, mon entourage, paysan, ignoraient la langue nationale.[…] Lorsque j'entrais à l'école, le maître nous apprit, à mes camarades et à moi-même, à manier la langue française… […] Nous continuions à pratiquer le patois en début de la classe, à la récréation, chez nous. Mais j'ai su, bien plus tard, que les maîtres préféraient enseigner de jeunes paysans comme nous qui arrivions incultes, à l'école, plutôt que ceux d'entre nous qui avaient appris quelques bribes de français mais de façon gauchie et qui éprouvaient beaucoup plus de difficultés que nous pour se débarrasser de mauvaises prononciations.

Le patois est la langue maternelle de Xavier Marcoux, celle de ses premières découvertes, des émotions qui laissent leur empreinte pour la vie. Quand il a écrit des poèmes, il l'a fait en patois parce que toute poésie renvoie à l'enfance. On trouve plusieurs thèmes et diverses sources d'inspiration et cette présentation a pour but d'aider chaque lecteur - même non patoisant - à entrer dans cette pensée du poète, à mieux goûter ses mots et à apprécier la variété des rythmes et la richesse de cette langue.

L'enfance

Voici d'abord l'univers de la petite enfance avec la figure de la mère. Puis les jeux, les malices et les occupations des jeunes enfants.

Lô Mouma (La Maman) fait le portrait d'une femme toujours levée la première et couchée la dernière qui " donne, donne " à tout le monde et avec le sourire :
Ou'ère son plézi / To son plézi. C'était son plaisir / Tout son plaisir.


C'est aussi l'évocation des occupations de l'enfant dans le poème intitulé Kan ou érïn tcheton, qui commence justement par cette phrase du vieux folklore français : Quand j'étais petit, je n'étais pas grand et qui continue par : J'avais des culottes en fromage blanc…

Là ce sont des petites bêtises d'enfant qui sont racontées, farces et malices qui ne tirent pas à conséquence - glisser sur les sabots, faire peur aux filles, galopiner en quelque sorte à travers les rues du village. La fin de ce poème nous fait entendre les mots, les cris pour appeler les animaux, de ôvo ! ôvo ! pour chèvres et veaux à kery, tchia pour le cochon qui attend l'arrivée de sa pitance, le groin dressé devant le bachat.

Nous sommes encore dans le pittoresque avec la chanson du sifflet et la danse des sabots. Le sifflet a été taillé par l'enfant qui accompagnait son travail de la chanson appropriée, transmise de génération en génération : Zabô, zabô / Tchio de kanô / Si te vô pè zôbè / Foudrô te coupè le nè.

Pour Mes sabots, on appréciera le rythme de la danse, rendu par les vers courts, aux sonorités martelées, terminés par une unique rime en "o". Tous ceux qui ont aimé danser la bourrée, en frappant du talon, ressentiront, en lisant ce poème, la force de l'évocation. N'oublions pas que dans ces soirs de fête, tout le monde était mêlé. Les petits apprenaient en voyant faire les grands.

On pourrait encore rapprocher le poème intitulé : Le bo / Le bouc (p. 16) du monde de l'enfance car c'est un conte de "randonnée", genre fort apprécié des enfants dont il développe la mémoire : une histoire qui va du bouc au petit chevreau en passant par la bique, puis qui reprend, du plus fort au plus faible, et finit dans un grand concert de bêlements : Bioli…/ bioli…bioli…/ Et biale ïncore.

La vie de la campagne : les animaux

Xavier Marcoux restitue dans ses poèmes l'atmosphère de la vie quotidienne du village. On voit circuler et travailler bêtes et gens, intimement liés pour le meilleur et pour le pire. Comment s'étonner, dès lors, qu'il prête aux animaux des sentiments humains ? Chaque animal a un nom - pas un numéro tatoué dans l'oreille - et une personnalité.

Le cheval Bicho fut ainsi tout exprès créé par le Bon Dieu pour être l'ami de l'homme et de la femme. C'est le portrait, à la fois réaliste et légendaire, d'un grand cheval, dur au travail, respecté de tous, à la robe couleur café et aux sabots tou quatrou bien forô, un bon cheval, doux et protecteur, au point que l'homme et la femme - cela est dit - devant cet ami / Se mettront à genoux. On n'est pas loin de l'atmosphère de certains poèmes de Francis Jammes, comme celui où il évoque Le p'tit cheval dans le mauvais temps…, obstiné et courageux, dont l'âme claire et naïve ira tout droit au paradis.

Lé donde (Les vaches dressées) ne manquent pas de caractère, elles non plus. Les voici qui prennent la parole, la Rouge et la Blanche, comme dans un conte de Marcel Aymé. Elles travaillent comme des bœufs, en couple inséparable, mais ne perdent pas une occasion de rire et de papoter : Pô bioké toté doué / nou bôyin de kô de koué ! Elles ne sont pas privées du plaisir d'être mères et l'accouplement avec le taureau est raconté dans un style rabelaisien fort joyeux que je laisse aux lecteurs le bonheur de découvrir.

Plus triste est Confesso d'ïn chin borgé (La confession d'un chien berger). Le vieux chien, fameux berger, qui jamais ne mordit l'une de ses brebis, raconte comment il a aimé l'une d'elle, la Manchette, allant jusqu'à boiter comme elle pour l'aider à marcher, la protégeant, lui jappant son amour, inconsolable quand elle est vendue ; et par fidélité à son souvenir, le voilà qui sera boiteux à jamais ! Trouvez donc une plus belle histoire d'amour au pays des hommes…

Le poète ne peut s'empêcher également de déplorer le sort d'un jeune agneau que l'on a mis à mort et qui pleure sur le plateau du boucher. Cette fois-ci, c'est le ton de la déploration. Il n'avait pas fait plus de mal que l'agneau de La Fontaine et pourtant la cause de sa mort, ce n'est pas un loup affamé mais la férocité des hommes. Ce sujet n'est pas traité de façon mièvre par Xavier Marcoux. Bien au contraire, c'est avec force qu'il s'élève contre cette injustice, prenant la défense d'une faible créature du Bon Dieu victime de la barbarie humaine. Points d'interrogation et points d'exclamation témoignent de cette indignation.

Le poème, Une portée de cochons, fait irrésistiblement penser à la fragilité des bébés quittant le ventre douillet de leur mère pour affronter le dehors : le froid, la recherche de la nourriture. Avant de naître ils jouent à saute-mouton, à la course à l'âne, à cache-cache, à la culbute ; ils chantent et dansent. Heureusement après leur naissance, la mère nourricière est là pour les aider. Cette histoire de bêtes est aussi une métaphore de la vie des enfants insouciants et joyeux qui doivent un jour se lancer dans la vie.

On lira encore avec intérêt le poème intitulé Quoi, quoi ? qui présente de nombreux cris d'animaux, de manière plutôt facétieuse.

La vie de la campagne : les travaux et les jours

Dans les souvenirs de Xavier Marcoux on retrouve beaucoup d'évocations sonores qui se rapportent aux diverses occupations des paysans, travail quotidien comme la traite des vaches ou saisonnier comme le battage des gerbes. Ces petites scènes deviennent très vivantes sous la plume de notre poète.

Comme par hasard le mot "seaux" se dit bru en patois, et le mot "bruit", c'est également bru. Nous voici donc au pré, avec, dans l'oreille, ce son du jet de lait bourru qui arrive dans le seau, bruit pointu, son métallique au début (on n'a pas encore inventé le plastique), puis, au fur et à mesure que le seau se remplit, le son est plus sourd, le lait écume, et bientôt la surface du liquide se balance au rythme de la bourrée des seaux. Il faut lire et relire ce poème, plein de charme et de fantaisie. Jusqu'où iront ces seaux ? Ils échappent à tout contrôle comme ceux de L'apprenti sorcier de la légende. Notre poète s'amuse en écrivant cette histoire dont la majorité des rimes sont en "u".

Plus sage et plus traditionnelle est la chanson du fléau. C'est bien un chant qui accompagnait le travail de battage, éprouvant pour les bras et les reins, pénible pour les yeux à cause de la poussière. On entend : Pïn, pan, pô, pïn, pan, pô. Pas besoin de traduire ! Chaque fin de strophe reprend ce refrain, chanté par toute la collectivité. On voit les hommes, les femmes et toute la marmaille est présente, lô mormayi. Il y a même le tonton. C'est une activité vitale : ensuite, il y aura le pain, ce régal, des taillons de pain blanc, des taillons de gros pain et cela mérite bien la peine des hommes.

Reste à présenter le sabotier de Chalmazel qui a l'amour du métier et fait voler ses outils pour parer, creuser, racler le bois et transformer, avec art, les bûches en sabots.

Le sentiment de la nature : un lyrisme très personnel

Xavier Marcoux se révèle être, au fil de ses poèmes, un amoureux de la nature, un homme sensible au lyrisme très personnel.

Commençons par Mon village. C'est Nermond, le lieu de naissance. Dans ce texte, très bien composé, le regard s'élève d'abord des bâtiments en pierres aux arbres au-dessus, puis on découvre le plateau, et plus haut encore, la forêt. Le regard s'abaisse ensuite vers les fleurs de pissenlits qui émaillent le vert des prés. On devine la volonté du poète de nous faire partager l'amour de son village en nous guidant pour que nous en découvrions les beautés les plus humbles. Il en connaît chaque détail : c'est "chez lui".

Retenons encore l'hymne au printemps, thème éternel, mais agréablement renouvelé ici. A côté de l'évocation des oiseaux, des fleurs - violettes, pissenlits, pâquerettes - on rencontre une verve plus campagnarde. La sève ne monte pas que dans les plantes : elle inspire aussi les garçons, avec l'image réaliste des "suçons" faits à leurs petites amies ! Apprécions au passage le couplet qui ouvre et ferme le poème :

L'orô ô bôdô lô portô dô tin, Le vent a ouvert la porte du temps,
L'orô ô bôdô lô portô dô prîntin. Le vent a ouvert la porte du printemps.


Mariage de papillons n'est qu'un prétexte pour traiter du badinage amoureux. Deux fiancés se taquinent sur le thème du "quand nous marions-nous". L'amoureux répond, en se moquant, aux questions de la jeune fille, qui ne manque pas d'en faire autant. Le tout sur un mode léger, comme la danse de deux papillons qui se taquinent en volant de fleur en fleur.

On trouve aussi bien l'éloge du vent : Il court, court le vent / Comme un lièvre / Qu'un chien poursuit, / Plus vite encore au rythme rapide, comme essoufflé, aux sonorités évocatrices des différents bruits produits par le vent que la présentation de la fraise, modeste fraise des bois difficile à trouver, mais si délicieuse et parfumée.

Encore très réussi, le poème qui peint la course du Lignon. Les vers courts, haletants, du début, sont comme la course d'un jeune enfant qui fait le fou, avec la cadence de la danse. Une petite voix, peu d'eau, mais une grande vitalité. A partir du pont, le ruisseau a plus d'ampleur : il porte un nom et fait plus de bruit. Les vers s'allongent, mais c'est toujours la fête car deux ruisseaux se sont rejoints :

Sôtin, sôtin, riyin, riyin, / Dansin, dansin, chantin, chantin, /
Glou, glou, glou, / Ou'é nou, lu dou sïmplou.


Les choses se gâtent quand vient la maturité. La belle rivière est polluée et sa destination finale (la mer de Biribi ) fait plus penser à la prison qu'à la liberté. Pauvre Lignon!
Le court poème Louis et Mélanie nous fait vivre la vie simple d'un vieux couple tendrement uni. Tout est dit en peu de mots : attentions réciproques qui signent le bonheur (Pô te : mô Mélèni ! Pô te : mon Loui !)

Amandine et Sur la route de Reculons sont comme des réminiscences d'anciennes chansons françaises, adaptées aux lieux de l'enfance de Xavier Marcoux.

Dans le premier texte, la belle Amandine se promène au long de l'eau, et c'est le ruisseau de Grandris, bien connu des habitants de Chalmazel. Mais la fin de l'histoire est heureuse : la fille n'est ni séduite ni abandonnée, ce qui arrive d'habitude dans ces anciennes chansons qui sont des mises en garde pour les jeunes demoiselles.

Quant à la route de Reculons, il s'y passe de curieuses choses : cette Madelon n'est pas bien farouche et le conseil donné, c'est de ne pas passer sans la consoler !

Un poème très attachant nous fait rêver du ciel et des constellations. Dans cette montagne, la nuit, le ciel est tout proche et les figures qui sont dessinées ont toujours aiguisé l'imagination des petits bergers : dans la petite musette du garçon sont enfermés le petit chevreau tout en or et l'étoile qui dormait encore. Le dimanche ils ont disparu, mais c'est au ciel qu'on peut les trouver désormais :

Mê ou é veu ïn choroban Mais j'ai vu un char à bancs
Djïn le sié, tchirô pô ïn boutchîn, Dans le ciel, tiré par un chevreau,
E l'étialô dô borgé dourmé dedjîn. L'étoile du berger dormait dedans.


Des histoires, encore des histoires…

Tous ceux qui l'ont rencontré savent que Xavier Marcoux aimait raconter des histoires, des "histoires du temps passé", selon les mots de Victor Hugo, mais aussi des "malices" qu'il arrangeait à sa guise et de petits poèmes absurdes ou naïfs, à la manière de poètes contemporains, comme Francis Jammes, Jacques Prévert ou René de Obaldia.

Au compte des histoires transmises aux veillées, voici celle de Pierre Paillat, qui devait beaucoup amuser les auditeurs. L'homme est un avare qui trouve sur la route un porte-monnaie gelé… Je vous laisse découvrir la suite de l'aventure qui ne manque pas de piquant !
Le bouc de Bignado est un fameux reproducteur et l'on se plaît à le vanter. Mais après la mort de son maître, il est acheté par le maire, et le voilà qui ne veut plus travailler. On s'amuse beaucoup à lire la fin de l'histoire !

Une jeune chèvre est un conte gaillard dans la tradition des fabliaux du Moyen Age. La conduite de cette chèvre, facétieuse en diable, loin de scandaliser, devait au contraire déchaîner les rires des paysans qui se trouvaient ainsi vengés des juges, leurs ennemis de toujours.

D'autres poèmes sont de la même veine rabelaisienne : les mots crus ne sont pas évités, au contraire. Ainsi dans Le Jané lô Jèno ou dans O lo borô.

Môrchan de poné est repris et adapté d'une chanson ancienne. Ce marchand de paniers initie la tante Dorothée à son métier ! Neuf mois après, on voit le résultat… Tout le plaisir de ceux qui écoutent est dans les sous-entendus et l'on finit par la chanson : cric, crac, j'entends le bois qui craque / écoute, entends-tu le bois craquer ?

Le coq et le miroye (Le coq et le milan) est une véritable fable digne de La Fontaine, par laquelle nous apprenons pourquoi les milans, dit-on, mangent les poules et les poussins.

Parfois l'on rencontre des textes proches de l'absurde, du "nonsense" anglais. Détraqué, chamboulé montre le monde à l'envers. On prend le plus grand plaisir à renverser toutes les situations traditionnelles et l'on sent que l'énumération loufoque pourrait durer encore plus longtemps, si le poète ne décidait de conclure par un : Tô é dépotintô.

Dans La chèvre et le loup, qui est en forme de chanson, on se croit dans l'univers de Desnos car l'on rencontre trois limaçons qui s'en vont labourer, puis une chèvre noire qui chante : alleluia, avant, la pauvre, de se laisser manger par le loup.

Autres histoires sans queue ni tête dans Brayi de coucu où la primevère en mal de confidence raconte des choses extravagantes : qui peut croire, par exemple, qu'à Saint-Didier, un blaireau chante des chansons alors qu'autour de lui dansent des matous ? Cela ne fait rien, nous sommes dans la féerie du "Il était une fois".

L'histoire intitulée : Pô d'émou (Pas de jugeotte) est une leçon de sagesse populaire, racontée sur un mode plaisant, léger. Un certain nombre de proverbes bien connus y trouvent illustration. Un père donne des conseils à son fils, plutôt irréfléchi, qui doit acquérir un meilleur jugement, apprendre à économiser, freiner ses désirs, calculer pour avoir un bon avenir… Bref, on est en plein conflit de générations.

Plaisant également le petit poème des "douleurs", qui met en scène plusieurs personnages souffrant de ces fameuses douleurs. On entend les plaintes de la Pélagie et du Guste de Traveloux, reprises par l'âne qui brait à belle voix ! Des douleurs, il y en a pour tous, mais elles n'ont jamais fait mourir personne, elles alimentent surtout les conversations.

Beaucoup de poèmes traitent donc de sujets plutôt amusants. On fait passer bien des idées grâce au ton comique, sans la pesanteur de la leçon de morale. Cependant Xavier Marcoux est parfois plus grave sans devenir pour autant ennuyeux.

Un homme qui se retourne sur son passé

Malgré des apparences légères, Le tin ko fôro (Le temps qu'il fera), montre une certaine nostalgie du temps qui passe. Sous les petites histoires amusantes qui illustrent chaque jour de la semaine, on voit en fait passer les saisons de l'année et même les saisons de la vie. C'est court, la vie !

Mais où sont les neiges d'antan…, semble dire le poète dans le texte : Intô lé donc ? (Où est-il donc ?). Oui, où sont-ils donc tous ces personnages des histoires entendues aux veillées ? Perdus, bien perdus dans la nuit noire du temps écoulé et l'on ne perçoit plus que le intô lé, intô lé donc, que reprend tristement l'écho.

Même inspiration pour Viôle (Sentier) où l'on constate qu'il n'y a plus de sentier à travers les prés. Maintenant les bêtes sont gardées par des rangs de fil de fer barbelé. Plus de sentier, plus de berger, plus de garçon pour conter fleurette… Dans ce court texte, ce sont les mots plu et yô mè (y a seulement) qui résonnent sinistrement tout au long des vers.

Xavier Marcoux évoque encore en patois des moments heureux d'amitié partagée autour d'un bon repas rustique et cela donne : Sopô de chaô, où l'on retrouve plusieurs figures du groupe "Patois vivant" : Et glou, glou, glou / Pour la soupe de choux.

Il essaie surtout de sauvegarder ce qui est le plus important, à ses yeux, la saveur de la langue, et même sa verdeur, comme dans le poème intitulé : Jinto lingo où des expressions très imagées disent une certaine sagesse paysanne. Et Notrô lingô est un véritable hymne au patois forézien, la vraie langue, qui dit plus que des mots, qui dit les habitudes, les coutumes et donne son sens à la vie. Les deux dernières strophes de ce poème ont de vrais accents de ferveur :
Notre langue / C'est un trésor / Elle a cent mille étés et dure encore. / Notre langue gardons-la donc / Et à nos enfants donnons-la donc. On sent qu'il veut se convaincre lui-même. Il conclut ainsi, et, curieusement, en français seulement :

Nous sommes bilingues / Restons bilingues : Notre langue est un trésor / Gardons notre trésor.


Qu'en est-il de cette exhortation, de cette bouteille jetée à la mer en 1977 par un amoureux du patois ? Je ne saurais conclure là-dessus. Les patoisants seront mieux à même de le faire, eux qui font le succès des veillées de Patois vivant, ce qui est déjà une réponse. Mais on peut dire que les textes de Xavier Marcoux sont ceux d'un véritable poète, sensible et inspiré, qui varie les tons et les rythmes, et qui nous laisse ce témoignage irremplaçable sur le monde de son enfance et de sa jeunesse. Le Père Gardette souhaitait l'émergence d'une poésie forézienne. Celle de Xavier Marcoux répond à son vœu.

 

un cahier de 60 pages, (21 X 29,7)
disponible au

Centre Social de Montbrison
13 place Pasteur,
42600 Montbrison

tél. 04 77 96 09 43

mèl
centresocial.montbrison@laposte.net

site
perso.wanadoo.fr/centresocial-montbrison

 
accueil